Par le Pr Éric Bertin
L’obésité est une maladie chronique dont les mécanismes en cause sont multiples et souvent intriqués aux vues des données récentes de la littérature scientifique, et la pandémie actuelle du SARS-COV2 a contribué notamment à mettre en lumière l’influence majeure de l’environnement sur la corpulence de la population.
Pour une prévention efficace et une prise en charge durable de l’excès de poids dans la population générale, il est donc souhaitable d’aller au-delà des interventions visant à réduire le déséquilibre alimentaire et l’inactivité physique, et de considérer également les éléments suivants :
- La régulation des prises alimentaires sur les signaux alimentaires intéroceptifs de faim et de rassasiement est le meilleur garant de la stabilité pondérale, et ce sans contraintes ni frustrations. La perte de cette régulation favorise un excès d’apports alimentaires par rapport aux besoins du corps.
De nombreux éléments favorisent cette dysrégulation : stress, manques affectifs, émotions difficiles, que l’alimentation vient « gérer » à court terme par des mécanismes échappant à la volonté, du fait notamment de la dimension symbolique affective de l’alimentation. La stigmatisation que vivent les personnes en excès pondéral et la perte de l’estime de soi liée à l’incapacité à perdre durablement du poids par des régimes restrictifs, ne font qu’accentuer cette dysrégulation.
Une vitesse d’ingestion élevée (tachyphagie) favorise également une moindre perception du moment du rassasiement et un défaut de sensorialité olfactive et gustative qui tend à être compensée par une majoration des ingesta. L’influence de l’entourage familial au cours de l’enfance est importante car les pratiques alimentaires des parents impactent durablement le comportement alimentaire de leurs enfants : rythme d’ingestion, orientations alimentaires et quantités consommées, alimentation utilisée comme principal vecteur de plaisir, d’affection ou d’apaisement ; de même, une éducation « rigide » (ex : obliger son enfant à finir systématiquement son assiette) contribue à perturber durablement le respect du signal de rassasiement.
- La diversité alimentaire d’une personne est conditionnée par son environnement dès le stade fœtal. Cette diversité nécessaire à l’obtention d’une alimentation équilibrée est en effet favorisée par l’exposition des enfants aux fruits et légumes au cours des stades précoces de leur développement. L’enfant est sensible aux différentes saveurs et arômes transmis par le liquide amniotique après ingestion d’aliments par sa mère. L’introduction trop tardive des légumes ou de textures à mastiquer chez le nourrisson accentue l’amplitude de la néophobie alimentaire (qui est un processus normal du développement) et est un frein significatif à l’obtention d’une alimentation diversifiée chez l’enfant au décours. Des troubles de la croissance de l’enfant (retard de croissance intra-utérin ou macrosomie secondaire à un diabète gestationnel) favorisent des perturbations définitives de la régulation du métabolisme énergétique. Une carence affective peu après la naissance (favorisée par exemple par une dépression du post-partum chez la mère) tend à être compensée spontanément par une appétence pour les aliments gras et sucrés (aliments à forte charge hédonique).
Ces éléments (et d’autres qui ne seront pas développés ici) ont mis en lumière l’importance de se focaliser sur les 1000 premiers jours de vie (de la grossesse à 2 ans) et d’en faire une période clé pour la santé du futur adulte.
- La qualité du sommeil et le bien-être ont également une influence sur le poids. Le manque chronique de sommeil (en durée et/ou en qualité) et le stress favorisent non seulement des prises alimentaires excessives mais peuvent aussi en dehors de toute majoration des ingesta favoriser une prise de poids chez certaines personnes prédisposées, par des mécanismes qui restent à préciser. Le syndrome d’apnées du sommeil, principalement induit par l’excès pondéral, est ainsi un facteur potentiel d’amplification de ce dernier.
Ces divers éléments montrent l’importance de prendre en compte la personne en excès pondéral dans sa globalité, de caractériser son comportement alimentaire au-delà de son profil alimentaire et d’agir sur les déterminants de sa dysrégulation par une approche éducative soutenant la restauration de son écologie personnelle1.
En effet, vouloir changer l’alimentation d’une personne sans l’aider à se dégager des éléments qui l’amènent à manger au-delà de ses besoins énergétiques corporels peut rarement avoir des effets durables (au-delà d’un an). Les biais attentionnels destinés à soulager inconsciemment à court terme les problématiques psycho-affectives sous-jacentes et les conditionnements éducatifs familiaux antérieurs, sont les principaux responsables de l’échec des approches restrictives et du phénomène de Yo-Yo pondéral, et ils sont toujours privilégiés par l’inconscient malgré la motivation et la volonté d’aller contre.
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en relation avec le contenu de cet édito
1L’écologie personnelle englobe au-delà de l’alimentation et de l’activité physique : les liens affectifs et sociaux, le sommeil, l’apaisement des tensions/problématiques psychiques, le temps dédié à soi et l’investissement personnel dans des activités épanouissantes, la prise de conscience de ce qui génère certaines conduites inappropriées, et la sensibilité intéroceptive (ou la perception des sensations corporelles internes qui est un élément important pour être bien connecté à son corps)