Les Troubles Alimentaires Pédiatriques

Synthèse de l’échange de pratiques DisCO du 19 juin 2023

Par Vanessa Carette Obry, Diététicienne

Le Trouble Alimentaire Pédiatrique (TAP) touche environ 25% des enfants dans la population générale. Ce trouble est notamment présent chez près de 61 % des enfants avec un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA). [1]

Avant de définir précisément ce trouble, il est utile de faire un rappel sur le développement normal de l’enfant.

Au cours de la construction de l’être humain, l’oralité alimentaire se développe. Tout d’abord, l’oralité alimentaire primaire, qui correspond à la succion. Puis, la secondaire, dans laquelle la mastication entre en jeu.

Parallèlement, l’oralité verbale évolue dans le même sens. La phase primitive correspond au cri, et la secondaire à  l’articulation.

Par conséquent, les oralités alimentaire et verbale sont liées par leur nécessité fonctionnelle. La sphère orale en est le dénominateur commun.

 

Définition du TAP

Le Trouble Alimentaire Pédiatrique est défini par une « perturbation de l’apport oral en nutriments, d’une durée d’au moins deux semaines et associée à un ou plusieurs des éléments suivants : dysfonctionnement , nutritionnel, des compétences oro-sensori-motrices et retentissement psycho-social ».[2]

Le TAP est donc un diagnostic (et non un symptôme). Il s’analyse selon 4 grands domaines : médical, nutritionnel, compétences alimentaires (oro-motrices et sensorielles) et psycho-sociales.

Il apparaît parfois dès la naissance, et survient le plus souvent au cours de la première année de vie.

Le Professeur en médecine spécialités gastro-entérologie nutrition pédiatriques , gastro-entérologue pédiatre et nutritionniste, nous invite  à faire également une nuance avec « le Syndrome de Dysoralité Sensorielle » (SDS).

Par définition, cette dysoralité est une hyperréactivité des organes du goût et de l’odorat. Les symptômes peuvent aller du simple dégoût pour certains aliments jusqu’à une aversion alimentaire sévère faisant penser à une anorexie.

Comme vous l’avez soulevé, il n’est pas évident de distinguer sélectivité alimentaire et TAP, et nous

souhaitons vous y aider grâce au texte suivant.

 

Quelles sont les différentes manifestations et causes des TAP ?

Voici une liste de symptômes qui peuvent être évocateurs :

  • Sélectivité des goûts, textures, couleurs, température,
  • Refus des morceaux,
  • Évitement du biberon / de la cuillère,
  • Lenteur à la prise des repas,
  • Faible appétit,
  • Refus de manger,
  • Nausées, vomissements lors des repas,
  • Passivité face à l’alimentation,
  • Absence de plaisir alimentaire,
  • Toux lors des repas.

Notons que l’alimentation repose sur quatre piliers. Chacun de ces piliers peut présenter des dysfonctionnements causant chez l’enfant un TAP. À titre d’exemple, voici quelques troubles possibles pour chaque domaine de développement :

Organique

  • Prématurité,
  • Pathologies pulmonaires, digestives, cutanées, cardiaques,
  • Malformations congénitales (fentes…), Dysfonctionnement néonatal du tronc cérébral,
  • Tumeurs,
  • Pathologies neurologiques (encéphalopathies, Infirmité motrice cérébrale),
  • Allergies alimentaires, reflux gastro-oesophagien (RGO)
  • Troubles du langage oral : trouble de l’articulation, retard de parole ou de langage, bégaiement ou à une dysphasie

Environnemental

  • Nutrition artificielle,
  • Absence de renforcement positif sur le comportement (ex : passer uniquement par lapunition ou forçage)
  • Conditionnement négatif,
  • Manque de variété des aliments proposés,
  • L’installation à table (chaise adaptée, hauteur.),
  • Textures industrielles répétitives,
  • Distraction par écran(s)

Traumatique/Psycho affectif

  • Précédent de nutrition entérale (sonde),
  • Phobie de déglutition,
  • Trouble du comportement alimentaire chez la mère

Sensoriel

  • Hypersensibilité sensorielle,
  • Hyposensibilité, notamment chez les personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme, elle se traduit par une sensibilité réduite, voire une insensibilité aux différents stimuli sensoriels de l’environnement,
  • Exacerbation du réflexe nauséeux,
  • Trouble de l’intégration sensorielle

 

Répercussions et rôle du diététicien nutritionniste

Plusieurs perturbations peuvent être observées lors d’un TAP. D’une part, sur le lien mère enfant, la dynamique familiale et/ou la sphère sociale ; d’autre part, sur le développement intellectuel, staturo-pondéral (cassure de la courbe), et/ou l’état nutritionnel (carences).

Sur ces derniers points, le diététicien nutritionniste à toute sa place. En effet, lors de la consultation, l’anamnèse vise à identifier et accompagner activement l’enfant et ses parents   pour :

  • Prévenir les cassures de courbes (surveillance du poids et recherche de signes de carences),
  • Améliorer le confort digestif (mesures contre le RGO, le ralentissement du transit…),
  • Aider à l’élargissement du répertoire alimentaire : chainage alimentaire (c’est-à-dire aider à goûter de nouvelles choses plus facilement, en identifiant des aliments copains (pain, jambon, fromage) à des aliments similaires (ex : croque-monsieur), activités sensorielles( ex : la dégustation, des jeux de pâtes à modeler), ateliers cuisine, goût, odorat…
  • Proposer/Informer sur les différents ustensiles préconisés (tétine en caoutchouc bouillies, seringue, tasse, paille, cuillère plate, assiette compartimentée)
  • Prendre en charge la dénutrition (si nutrition entérale / parentérale, stimuler, proposer des aliments à haute densité calorique avec texture adaptée)
  • Mettre en place dès que possible l’alimentation per os, même si l’enfant est déjà nourri par voie entérale ou parentérale ou si difficile (faibles capacités de succion) à dispositifs facilitateurs comme un verre antidérapant avec une paille.
  • Travailler en lien avec les autres professionnels de santé prenant en charge l’enfant (pédiatre, orthophoniste, puéricultrice, psychologue, ergothérapeute, infirmière scolaire pour les PAI)
  • Accueillir la souffrance des parents, leur permettre de l’exprimer, et les aider à déculpabiliser.

 

Néophobie alimentaire ou TAP ?

On parle de « néophobie alimentaire » quand il y a un refus ou rejet de certains aliments[4]. Il s’agit là d’une peur ou d’une méfiance de la part de l’enfant. Cette réticence concerne les aliments qu’il ne connaît pas. Les légumes sont les plus souvent concernés. Il est important de garder en tête que la néophobie alimentaire touche 75% des enfants.[5] Elle est donc une étape normale lors du développement de l’enfant. Cette « peur de la nouveauté » survient entre 2 et 10 ans et coïncide souvent avec la phase du « NON ! ». Elle peut être présente jusqu’à 8 ans, avec un pic entre 18 mois et 3 ans. Elle correspond à la phase de recherche d’autonomie et d’affirmation de soi. La néophobie alimentaire et le TAP sont bien distincts.  En effet, si la néophobie est courante et normale, les difficultés du TAP apparaissent dès le début de la diversification, ou même avant, ainsi qu’au moment de passer aux aliments solides (morceaux).

Il existe plusieurs comportements caractéristiques de la néophobie alimentaire :

  • Refuser de goûter un aliment nouveau,
  • Tourner la tête ou fermer la bouche si un adulte essaie d’approcher la fourchette,
  • Repousser son assiette ou sa fourchette,
  • Trier les aliments,
  • Grimacer devant son assiette, assorti d’un « beurk, ce n’est pas bon ! » sans avoir goûté… 😊,
  • « Jouer » avec ses aliments avant de les mettre à sa bouche,
  • Recracher ce qu’il a dans la bouche (voire vomir s’il a été forcé),
  • Ne pas supporter les aliments mélangés comme le gratin de légumes par exemple

Précisons que l’enfant peut présenter des difficultés sur un même aliment n’ayant pas la même texture/presentation. Comme aimer la purée de carottes et repousser les carottes rapées.

 

Quelques astuces pour accompagner son enfant…

La néophobie alimentaire s’atténue au fil des mois. Il est important de dédramatiser et de se montrer patient. Rappelons que ce n’est pas grave si un tout-petit ne mange pas de légumes à chaque repas, l’équilibre alimentaire est préconisé à l’échelle de la semaine, et l’autorégulation est de mise en cette période de croissance.

En tant que diététicien nutritionniste la prise en soin réside dans le fait d’informer et guider les parents afin de :

  • Faire du repas un moment convivial
  • Déculpabiliser ! Les féculents sont essentiels à cet âge de pleine croissance.
  • Continuer à proposer des légumes et à en consommer soi-même, car les enfants apprennent par mimétisme,
  • Proposer des petites quantités, qui sont moins intimidantes qu’une assiette pleine,
  • Avoir une approche ludique « d’explorateur » et lui proposer d’utiliser ses sens : regarder, toucher, sentir, faire un bisou, croquer et recracher si besoin,
  • Éviter de mélanger les aliments, s’ils sont séparés l’enfant les reconnaient, et ne se sent pas trompé.
  • Toujours proposer un « aliment copain », c’est-à-dire un aliment apprecié,  avec les légumes,
  • Le familiariser avec les aliments : les enfants vont mieux manger les aliments qu’ils connaissent. La vision des adultes n’est pas celle des enfants. Là où des parents voient des épinards, l’enfant peut y voir la pelouse tondue 1h avant,
  • Jouer avec des imagiers d’aliments, aller au marché et les cuisiner avec eux dès que possible,
  • Rendre l’assiette plus appétissante et rigolote,
  • Respecter ses préférences : il a le droit de ne pas aimer un aliment !
  • Mettre sur la table tout le contenu du repas et laisser l’enfant manger seul, à son rythme et dans l’ordre qu’il souhaite, quitte à tremper ses carottes dans le yaourt.

Faisons-leur confiance dans leurs capacités à s’autoréguler. Un enfant sait quand s’arrêter !

Forcer, menacer ou faire du chantage à un enfant contribue à dérégler son comportement alimentaire. En effet, les légumes peuvent être associés à la punition, et finir son assiette peut amener, une fois adulte à un trouble alimentaire (rejet des légumes, absence d’écoute de ses sensations de faim, …).

Si l’enfant ne veut pas manger son assiette, on peut, par exemple, lui proposer un yaourt ou un fruit en dessert.

 

En synthèse

Les oralités alimentaire et verbale sont liées.

Les TAP, comme la néophobie alimentaire sont des troubles qui peuvent être perçus par le diététicien nutritionniste et être travaillés en consultation. La prise en soin réside d’une part, dans la guidance parentale pour prévenir les cassures de courbes de croissance, éviter les carences nutritionnelles, élargir le répertoire alimentaire, sans se soucier de l’équilibre alimentaire.

D’autre part, il est indispensable notamment pour les TAP, d’orienter vers un professionnel de santé pouvant établir un diagnostic tel que le pédiatre ou un orthophoniste formé.

Vous l’avez dit, selon le contexte et votre anamnèse, « Avancer point par point » c’est :

  • « Ecouter/ Déculpabiliser les familles,
  • Se référer à la courbe de croissance,
  • Mettre en place des actions diététiques »,
  • Orienter vers le professionnel compétent »

Ce sont les clefs de votre prise en soin face à la néophobie et au TAP.

 

Références

[1] https://tompousse.fr/livre/troubles-alimentaires-pediatriques/

[2] Supports Formation Troubles de l’Oralité – ISA

[3] Supports Formation Troubles de l’Oralité – ISA

[4]+4 https://www.bloghoptoys.fr/la-neophobie-alimentaire#