Par Thomas D’Amico, Diététicien

L’influence de la dimension sociale dans l’alimentation et le comportement alimentaire des individus est depuis longtemps un sujet de recherche notamment décrit par Pierre Bourdieu avec sa théorie de « l’habitus alimentaire »[1]. L’apparition des réseaux sociaux numériques à la fin des années 1990 a fait évoluer les espaces et le fonctionnement de nos modes de socialisation. Les jeunes adultes sont particulièrement dépendants des RSN, étant à une étape de la vie où l’importance de se sociabiliser avec leurs pairs augmentent estime de soi et sentiment d’appartenance à un groupe. Cet article présente l’influence de ces RSN sur le comportement alimentaire via deux revues récentes de la littérature sur le sujet.

 

Les RSN, un outil de renforcement des comportements favorables à la santé en termes d’activité physique et d’alimentation

En Juin 2021, la revue « International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity » a publié un article présentant les résultats de 18 études[2] relatives aux interventions utilisant un ou plusieurs médias sociaux numériques. La population concernée par ces études était le plus souvent constituée de jeunes femmes (âgées entre 18 et 35 ans). Les résultats montrent que « Les interventions sur les réseaux sociaux peuvent modifier positivement l’activité physique et les comportements liés à l’alimentation, via une augmentation des niveaux d’activité physique, des modifications en faveur d’une alimentation plus saine et des changements bénéfiques de la composition corporelle ou du poids corporel. » L’article présente des exemples d’utilisation comme la participation à des groupes de discussion Facebook, la publication de contenu (exemple : photos de recettes) au sein de communautés permettant une forme « d’entraide ».

 

RSN et insatisfaction corporelle

L’altération de l’image corporelle d’une personne est un facteur de risque d’apparition d’un régime alimentaire restrictif, qui peut amener à l’apparition de troubles des conduites alimentaires[3].  Un article de Rounsefell et al. de février 2020[4] a proposé une revue systématique de la littérature entre 2005 et 2019, analysant les liens entre l’exposition à des contenus sur l’image corporelle via les RSN et les profils alimentaires chez de jeunes adultes âgés de 18 à 30 ans. Les résultats des 30 études incluses dans cette revue montrent que « l’engagement sur les réseaux sociaux ou l’exposition à du contenu lié à l’image était associé à une insatisfaction corporelle plus élevée, à un régime/à des restrictions alimentaires, à la suralimentation et au choix d’aliments sains. ». Par exemple, les jeunes femmes exposées sur Instagram à des images « idylliques » de célébrités ou de pairs ont signalé une plus grande insatisfaction corporelle et des comportements visant une perte de poids. Par rapport aux médias de masse, les RSN propose des contenus personnalisés avec comme effet d’augmenter le risque d’intérioriser plus rapidement et ou plus fortement un idéal minceur et des pratiques alimentaires restrictives. L’article recommande aux professionnels de santé d’intégrer des contenus portant sur l’image corporelle lors des campagnes aux jeunes adultes via les réseaux sociaux, afin de ne pas accroître le sentiment d’insatisfaction corporelle.

 

Quel positionnement des diététiciens sur les RSN

Les réseaux sociaux numériques sont donc un outil de communication puissant dans l’engagement à des changements de comportements pour l’activité physique et l’alimentation, notamment chez les jeunes femmes. Cependant, ces changements ne semblent pas toujours être au service du bien être des personnes et répondent à des besoins de « normalisation sociale ».

Étant des professionnels de la nutrition, les diététiciens pourraient contribuer aux contenus sur les réseaux sociaux avec deux points de vigilance :

  • Une approche tridimensionnelle de l’alimentation[5]par les diététiciens permet une approche globale de la personne susceptible de diminuer les risques d’orienter les individus vers des pratiques alimentaires restrictives.
  • Les interventions sur les RSN nécessitent d’être contextualisées dans des projets de promotion de la santé, en incluant des interventions sur les différents domaines d’action prioritaires[6]. Cela suppose de s’intéresser par exemple aux environnements dans lesquels les personnes évoluent.

 

Références

[1] Bourdieu, P. (1979). La distinction : Critique sociale du jugement. Paris: Editions de Minuit.

[2] Goodyear VA, Wood G, Skinner B, Thompson JL. The effect of social media interventions on physical activity and dietary behaviours in young people and adults: a systematic review. Int J Behav Nutr Phys Act. 2021 Jun 5;18(1):72.

[3] Dany, L. & Morin, M. (2010). Image corporelle et estime de soi : étude auprès de lycéens français. Bulletin de psychologie, 509, 321-334.

[4] Rounsefell K, Gibson S, McLean S, Blair M, Molenaar A, Brennan L, Truby H, McCaffrey TA. Social media, body image and food choices in healthy young adults: A mixed methods systematic review. Nutr Diet. 2020 Feb;77(1):19-40.

[5] Bertin E. Pour une approche tridimensionnelle de l’éducation à l’alimentation. Cahiers de Nutrition et de Diététique. juin 2020;55(3):119 26.

[6] World Health Organization. Division of Health Promotion, Education, and Communication. (‎1998)‎. Glossaire de la promotion de la santé. Organisation mondiale de la Santé.