Par le Dr Marion Barrois, Médecin spécialiste en Nutrition

Lorsque l’on parle de troubles alimentaires en général, ils sont souvent réduits à ces grands Troubles, les ‘TCA’ que sont la boulimie, l’anorexie mentale ou l’hyperphagie boulimique. Et pourtant ils ne se limitent pas à ces pathologies.

L’intérêt qu’apporte le phénotypage du comportement alimentaire dans l’obésité, c’est l’échange avec le patient sur ses conduites alimentaires. La personne fait rarement le lien entre la problématique pondérale et ses troubles du comportement alimentaire. La narration va l’amener à une réflexion plus générale sur ses comportements. De cette façon, il se décentre des idées ‘magiques’ (attente d’un nouveau régime miracle ou d’un équilibre alimentaire strict) et devient l’acteur principal de son projet de soin, en apprenant à être plus à l’écoute de lui-même (de ses signaux alimentaires internes, stimuli émotionnels, et environnement externe).

Le comportement alimentaire est défini par l’ensemble des conduites d’une personne face à l’alimentation. Il englobe de nombreuses modalités allant du choix alimentaire (types d’aliments et qualité variant selon le lieu d’achat : supermarché/producteurs), à la préparation (produit industriels, transformés ou primaires), à leur conservation (exemple la peur du manque qui motive une patiente à entasser des boites de conserves dans sa cave), au profil de consommation alimentaire, etc.

Le profil de consommation alimentaire permet de schématiser les habitudes nutritionnelles de chacun : le nombre et horaires des repas, la diversité et composition alimentaire (l’absence de fruits et légumes, des produits industriels en excès, manque de produits laitiers, …), les quantités ingérées, les types de boissons consommés.

Ce comportement alimentaire répond à plusieurs besoins physiologiques : d’abord les besoins nutritionnels (les besoins en macro et micronutriments), ensuite les besoins psycho-sensoriels (hédonique et soulagement de tensions émotionnelles) ; et enfin les besoins socio-culturels (relationnels et affectifs).

On peut faire un parallèle entre la nutrition et un bon état de santé ; qui est d’ailleurs défini par l’OMS non seulement par un ‘état complet de bien-être physique’ mais aussi ‘psychique et social’.

Ces besoins physiologiques sont modulés selon différents signaux internes : la faim, c’est-à-dire un besoin physiologique d’énergie associée à une sensation physique (« creux », vide ou crampe gastrique) – l’appétit ou l’envie de manger un type d’aliment pour le plaisir qu’il procure et qui détermine nos choix alimentaires – le rassasiement, qui est la disparition de la faim.

Le fait de questionner la présence ou l’absence de ces signaux permettra aux personnes de conscientiser leur présence/absence, et de devenir plus attentifs à leurs sensations alimentaires internes :

  • Qu’est-ce qui est à l’origine du passage à table/de la prise alimentaire ? (Réponses fréquentes : l’heure, l’habitude, l’envie, un besoin émotionnel, une sensation physique…)
  • Qu’est-ce qui marque la fin du repas/de la prise alimentaire ? (Réponses fréquentes :la fin du plat, de l’assiette, une note sucrée, l’estomac tendu, …)

Ces signaux alimentaires sont souvent parasités dans l’obésité, non conscientisés par le patient, et se traduisent par des dysfonctionnements et une dérégulation des comportements alimentaires. Les principaux dysfonctionnements sont un excès de vitesse d’ingestion (tachyphagie), de quantité (hyperphagie) et de rythme (prises extra-prandiales).

La tachyphagie, est le raccourcissement du temps entre 2 bouchées et/ou l’augmentation du volume de la bouchée. Celle-ci perturbe les messages neuro-sensoriels du rassasiement et diminue le plaisir alimentaire.

Une durée de repas < 20 min ; une vitesse d’ingestion > ou = 7/10 (de 1 : la moins rapide à 10 : la plus rapide) ou une mastication insuffisante, confirment celle-ci.

L’hyperphagie prandiale est une surconsommation calorique durant les repas, par rapport aux besoins corporels. Elle peut être favorisée par l’absence de rassasiement, une tachyphagie, par la composition des repas (consommation d’aliments à forte densité calorique, souvent de petit volume), par un hyperhédonisme alimentaire, ou l’apaisement de tensions psychiques via l’alimentation (pour soulager un stress ou une carence affective par la tension gastrique par exemple).

L’impression de manger trop et l’évaluation de la taille des assiettes permettent de la diagnostiquer, tout comme la présence d’une tension/lourdeur/douleur gastrique en fin de repas.

Les prises alimentaires en dehors des repas : sont peu énoncées spontanément, et peuvent être minimisées. En cause, le processus de déni, permettant inconsciemment, de diminuer les contradictions des individus. Un journal alimentaire permet parfois de lever ce déni. Une impulsivité alimentaire peut être présente sous forme de compulsions ou accès boulimiques. Si ces derniers se répètent > ou = 1/semaine durant 3 mois consécutifs, l’on parlera d’hyperphagie boulimique.

Les finalités sous-jacentes à ces troubles du comportement alimentaire sont le plus souvent d’ordre psycho-relationnel, et échappent à la volonté et motivation de la personne, comme dans les addictions. Ces troubles contribuent à refouler des éléments traumatiques en les masquant via l’alimentation.

Par ailleurs, comme évoqué précédemment, les signaux alimentaires internes de faim et de rassasiement peuvent aussi s’effacer sous l’influence de nombreux stimuli externes : environnementaux (horaires professionnels, mimétisme familial, …), culturels (plateau TV, avec/sans couverts, …), émotionnels (le sucre réconfort, biais attentionnels, …).

Le plaisir alimentaire, est lié à la forte dimension symbolique de certains aliments (symbole de liens culturels, affectifs, relationnels). La façon de consommer est propre à chacun, touche au domaine de l’intime, et porte son histoire socio-culturelle (ex : les jeûnes religieux, les restrictions alimentaires, …). Pour que la personne puisse se confier, l’établissement d’une relation de confiance est nécessaire, afin de dévoiler une partie de son identité.

Évaluer son vécu et ses habitudes de consommation, permettra d’établir un lien de confiance via ces questionnements, en rassurant quant à l’absence de jugements négatifs à l’égard de son mode de vie.

Expliciter les « mécanismes » du comportement alimentaire et du changement sans les cacher, permet de positionner le patient dans un démarche réflexive et d’appropriation du projet de soins. Ce processus d’’empowerment’, via une posture éducative adaptée, permet de travailler sur les déterminants de son poids et d’acquérir les compétences dont il a besoin.

C’est ce qui différencie la démarche de soin, du marketing par de la manipulation sociale à but lucrative. Le patient devient alors acteur de sa prise en charge et non plus victime de l’ignorance des causes (nutritives, émotionnelle et culturelles) qui le déterminent.

Pour en savoir plus, consultez la boite à outils, disponible sur le site de la Maison de la Nutrition.